31 juillet 2019
Georgia referma le journal de Virginie avec beaucoup de regret. Elle avait profondément aimé se plonger dans cette lecture, tout comme elle avait apprécié les quelques lignes de la tendre Rosalia qui terminait le journal et racontait la fin de vie heureuse de celle qui avait été une seconde maman pour elle, entouré des siens. Georgia était émue de savoir que cette humble héroïne d’un autre temps avait été distinguée par la municipalité de Lowell pour son dévouement. Elle était sûre désormais d’avoir trouvé le sujet de thèse idéal. Elle voulait relater avec des mots forts le combat de ces courageuses filles du moulin dans leur dur labeur, qu’elles soient du Massachusetts, d’Irlande ou encore du Canada, pour celles qui arrivèrent après la guerre de Sécession.
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Mais elle avait aussi été agréablement surprise de l’invitation à déjeuner de Cassie, la bibliothécaire, le jour même lorsqu’elle lui avait expliqué combien ce journal intime l’avait inspirée pour le travail de recherches qu’elle projetait. Elle était très excitée de s’y rendre, presque comme si elle avait rendez-vous avec son destin. Curieuse de cette invitation peu courante, elle avait hâte de comprendre pourquoi Cassie faisait tant de mystères. Georgia prit donc le gâteau crémeux acheté au supermarché du coin de sa rue puis elle se mit en route pour se rendre à l’adresse indiquée, dans le quartier historique de Rogers Fort Hill Park Historic District. Elle s’attendait à trouver le logement humble d’une bibliothécaire, pourtant c’est dans une belle maison du 19ème siècle avec jardin que l’accueillit celle-ci. Elle lui proposa de prendre un rafraîchissement sous la tonnelle de chèvrefeuille et elles échangèrent quelques banalités sur la vie et les habitants de Lowell tandis que Kévin, le mari de la jeune femme, se joignait à elles. Georgia était un peu sur la réserve car elle avait du mal à comprendre ce qui se cachait derrière cette invitation et elle avait le sentiment que l’on attendait quelque chose d’elle. Cassie se leva, réajusta ses lunettes à montures épaisses qui cachaient un léger strabisme divergent et proposa de lui faire visiter la maison. Les vastes pièces et les beaux meubles se succédaient les uns aux autres et Georgia se demandait quel poste pouvait bien occuper Kévin pour qu’ils possèdent une si belle demeure ancienne. Peut-être était-ce un héritage après tout? Les deux femmes pénétrèrent dans une grande bibliothèque où trônaient des fauteuils clubs confortables et un bureau recouvert de cuir sur lequel était posé une lampe verte de laiton et d’opaline. Il y avait sur le mur de nombreuses photos anciennes et des daguerréotypes dont certains attirèrent l’attention de Georgia : les usines de Lowell, les filles du moulin en grève, une famille avec deux jeunes enfants. Sur ce portrait de famille figurait un homme brun aux lunettes à monture épaisses derrières lesquelles il y avait un regard bienveillant atteint d’un strabisme divergent assez prononcé. Juste à côté de cette photographie, un autre portrait avec les deux mêmes bambins. Le garçon portait un costume d’enfant bien ajusté et tenait la main d’une femme au visage doux portant dans ses bras une petite fille aux boucles blondes. Georgia regarda Cassie, qui souriait radieusement, d’un oeil interrogateur :
« – Cassie? Est-ce que …?
– Oui Georgia, je vous présente mes aïeux! Voici Susan et Max Wooldrof et leurs enfants John et Rosalia et sur ce portrait-ci, Virginie avec les petits. Ils ont tous vécu ici car la maison familiale a été transmise de génération en génération. Il était important pour moi de continuer à faire vivre cet héritage culturel et à faire connaître le combat des filles du moulin que mes aïeules ont vécu. C’est la raison pour laquelle j’ai su que vous adoreriez le journal de Virginie dont j’ai l’exemplaire original ici, précieusement conservé. En élevant John et Rosalia, cette femme a été le pilier de notre famille. Sachez donc que si vous choisissez de travailler sur les Lowell Mill Girls, notre bibliothèque est à votre disposition pour étoffer vos recherches car nous avons conservé beaucoup d’ archives de cette époque. Vous pouvez venir aussi souvent que vous le souhaitez, il y a une entrée indépendante, je vous laisserai les clés.
– Je ne sais pas quoi dire Cassie! Je suis tellement touchée par votre proposition.
– C’est moi qui suis touchée de votre intérêt Georgia. »
Et c’est ainsi que durant de nombreux mois, la petite lampe verte de laiton et d’opaline brilla jusque tard dans la nuit.
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Cambridge, université de Harvard, octobre 2028
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Georgia monta prestement sur l’estrade de l’amphi, saisit une craie blanche et inscrivit sur le tableau noir « Les Lowell Mill Girls » puis elle se retourna et fit face à ses étudiants avec un sourire déterminé. .
Natacha Ramora
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Pour plus de confort de lecture, si vous souhaitez relire la nouvelle en intégralité, veuillez suivre ce lien :
https://chroniquepatchwork.com/2018/04/08/les-lowell-mill-girls-lintegrale/
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Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de bonnes vacances et un bel été à toutes et tous! Prenez soin de vous et profitez des jolis moments estivaux. Pour ma part, je pars à la conquête des beaux villages du Lubéron sur les sentiers du GR 97 : Lourmarin, Roussillon, Rustrel, Oppedette….. Sous le soleil et accompagnée des cigales, l’aventure promet d’être sympathique! Et bien sûr, je vous prépare de beaux reportages à mon retour, comme si vous m’accompagniez un peu sur le chemin.
A très vite donc, je serai de retour le 15 septembre.
Natacha