
Illustration de Fanette, ma fille aînée
Depuis quelques semaines, Maman-renne semblait fatiguée. Sa joie à l’approche de Noël était absente cette année. Pourtant, elle adorait cette période où elle accompagnait Père Noël dans sa longue tournée du 24 décembre. Ces moments-là étaient magiques, l’émerveillement de milliers d’enfants, les maisons illuminées, la neige quelquefois, accompagnant leur long parcours et la trêve de quelques combats partout dans le monde pour une nuit, juste une nuit ! Le rituel était toujours le même avec Père Noël; toute l’année, il travaillait dur afin de fabriquer assez de jouets pour rendre les enfants heureux. En bras de chemise, il suait dans son établi pour scier, sculpter, assembler et peindre de simples planches de bois qui deviendraient un bateau, un cheval à bascule, une trottinette ou un jeu de construction.
Puis, juste avant la grande distribution de cadeaux, on emballait les paquets. Tout le monde s’y mettait, le sol de la cuisine devenait un immense parterre coloré tant il était recouvert de chutes de papier multicolores. Avec les années, on en était arrivé à faire des concours d’emballages, ainsi, on s’amusait follement.

Il y avait Père Noël bien sûr, qui était beaucoup plus habile pour fabriquer des jouets que pour plier rapidement du papier ! Lui préférait prendre son temps, boire une tasse de café entre deux coups de marteau. Alors dès qu’il s’agissait de se dépêcher pour emballer des cadeaux, il perdait sans cesse.
Il y avait Mère Noël, aussi appelée Mummy-Quilt. Tandis que son époux confectionnait des jouets, elle confectionnait des quilts colorés et splendides. Elle avait participé à des concours mais son travail était si minutieux et époustouflant qu’elle remportait à chaque fois le premier prix et qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher sa véritable identité. C’était une chose délicate de dire qu’elle était la femme du Père Noël. Certaines artistes avec qui elle avait sympathisé lui avaient gentiment proposé d’exposer certains de ses quilts sous leur propre nom. Ainsi, parmi certaines œuvres d’artistes mondialement connues se cache le savoir-faire de Mère Noël. Il est hélas interdit de dévoiler le nom des amies de Mummy-quilt, mais peut-être qu’en cherchant bien, durant les salons et expositions internationales, est-il possible d’en déceler parfois un.
Enfin, il y avait une grande partie des autres résidents de la maison : les petites marmottes qui attendaient le 26 décembre pour hiberner, les lutins malicieux, le père fouettard, qui réclamait toujours un gros cadeau pour le récompenser de son aide et Toby, le vieux chien. Personne ne pouvait le battre à ce jeu-là, il restait le champion du paquet cadeau. A tel point qu’on lui confiait les jouets les plus difficiles à emballer. Il gagnait malgré tout à chaque fois. Ensuite, il fallait ranger les nombreux paquets dans la grange, d’où on avait ôté toutes les bottes de foin afin de faire de la place. Et déjà, le grand jour s’annonçait ! Alors on se couchait de bonne heure et on dormait longtemps afin de prendre des forces pour pouvoir faire la grande tournée.

Coloriage d’Indiana, ma fille cadette
Ensuite, quel plaisir d’observer tous ces bambins déballer leurs cadeaux et pousser des cris joyeux. Cette belle mission enfin terminée, il était temps de rentrer se mettre aux chaud, de prendre une grande tasse de chocolat brûlant chez Père Noël et de se recoucher de longues heures afin de se reposer.
Mais cette année, Maman renne n’avait pas le courage d’affronter tout cela. Elle était épuisée et ne parvenait pas à se mettre debout sur ses quatre pattes. Le moindre mouvement lui semblait être un effort insurmontable ! Lorsque Toby rentra dans l’étable pour son salut matinal, elle ne se leva pas, ce qui inquiéta immédiatement notre chien, toujours soucieux du bien-être de chacun. Elle tenta de lui cacher sa faiblesse, mais on ne pouvait tromper le flair de Toby ! Alors elle lui expliqua ce qui n’allait pas mais lui demande de garder le secret pour lui. Elle ne voulait pas que son fils Marlow le sache tout de suite. Elle savait que sa fin était proche et elle attendait que le vétérinaire confirme ce qu’elle savait déjà, après seulement elle le dirait à son fils. Père Noël arriva peu de temps après, alerté par Toby, qui avait pris soin d’écarter discrètement Marlow de l’étable en l’occupant à d’autres tâches. Ils prirent la décision d’appeler M. Passe-Montagne , le médecin-magicien, qui arriva bruyamment quelques heures plus tard sur son scooter des neiges pétaradant et fit, comme à son habitude, un grand dérapage qui l’amusait fortement. Il éclaboussa tout le monde au passage et s’excusa en s’esclaffant et en secouant sa grande carcasse.

M. Passe-Montagne mesurait 2,10m et pesait 130 kilos ! Il était donc impressionnant et attendrissant également lorsqu’il prêtait une oreille attentive aux autres. Il n’avait pas de véritable diplôme de médecin mais possédait un savoir infini sur la façon de guérir ou d’apaiser les personnes mal en point. C’était la raison pour laquelle Père Noël faisait toujours appel à lui lorsque l’un de ses proches était malade.
Le médecin-magicien s’approcha de Maman renne puis s’agenouilla. Il l’ausculta et ils parlèrent longuement. Lorsqu’il sortit de l’étable, il prit Père Noël à part et lui expliqua que la vie de son renne guide touchait à sa fin. Contrairement à la légende, les rennes célestes n’étaient pas éternels. Il faudrait beaucoup de courage à Marlow pour comprendre et accepter que sa maman doive mourir. Mais une lourde tâche l’attendait ensuite, car il allait devoir la remplacer dans la tournée fantastique pour les jours à venir et il faudrait le préparer, l’entraîner à tout cela.
Lorsque le jeune renne comprit qu’une terrible nouvelle allait le frapper, il se précipita dans l’étable et se blottit contre sa maman pour pleurer à chaudes larmes. Il se serra contre elle et avec le peu de force qu’il lui restait, elle le lécha lentement. Ils restèrent ainsi de longues heures, en communion totale. Sans se parler, ils exprimaient la force de leur amour l’un pour l’autre, le chagrin de devoir se quitter, la fierté des valeurs enseignées et cette promesse de ne jamais s’oublier, quoiqu’il arrive. Lorsque Maman renne ferma les paupières pour toujours, Marlow, par-delà la douleur déchirante qui s’installa, sut qu’elle veillerait sur lui à tout jamais et qu’il devrait vivre pour qu’elle soit fière de lui et qu’il puisse honorer sa mémoire. Il ignorait où il trouverait la force de se lever et d’affronter les épreuves mais il devait le faire pour elle.
On fit une petite cérémonie d’adieu et Maman renne put reposer en paix au pied du grand sapin sous un parterre d’humus et d’aiguilles odorantes. Malgré l’attention que tous portaient à Marlow, il se sentait terriblement seul au monde. Pourtant, on ne lui laissa pas l’occasion de se laisser aller à la tristesse car Père Noël rassembla tout le monde pour réorganiser la tournée de jouets. Malgré ce triste évènement, on ne pouvait pas annuler la distribution de cadeaux et décevoir des milliers d’enfants. Il fallait reprendre le dessus très vite et permettre à la vie de suivre son cours. Le jeune renne allait devoir apprendre en quelques jours à guider un traîneau chargé de cadeaux, à travailler et être solidaire avec les autres.
L’entraînement commença immédiatement. Tobby harnacha Marlow pour la première fois et celui-ci eut bien du mal à ne pas rechigner d’avoir des lanières de cuir lui enserrant la tête et le corps. La sensation était très désagréable et dès qu’il bougeait un peu, les petites clochettes résonnaient péniblement à ses oreilles. Mais il repensait à sa maman et trouvait le courage de supporter ce tintamarre. Tous s’improvisèrent professeurs et lui ne savait plus où donner de la tête. Mais il possédait la faculté d’apprendre vite. En quelques jours, il sut conduire le traîneau presque aussi bien que sa maman.

La belle nuit de Noël arriva enfin, sous un ciel chargé de neige et un froid mordant. Seule l’étoile du berger, épargnée par les nuages, scintillait. Le jeune renne, la croupe frissonnante, se laissa atteler docilement à l’avant de ce joyeux équipage au côté de Juliana, le second renne. Celle-ci avait déjà une expérience de la tournée de Noël qu’elle effectuait depuis deux annees. Maman-renne l’avait formée patiemment à cette tâche et lui avait fait prendre conscience de son importance. Aujourd’hui, Juliana était heureuse de partager ces moments à venir avec le fils de son ancienne professeur et complice. Etant plus vieille que Marlow, elle n’avait pas eu l’occasion de partager ses jeux avec lui. Le temps était donc venu de faire plus ample connaissance avec ce jeune renne qui lui semblait sympathique et mignon. Marlow, quant à lui, se sentait intimidé par cette jeune renne aux yeux doux, ce qui amplifiait sa gaucherie de débutant. Il faut avouer qu’il la trouvait très jolie !
@ suivre
Natacha Ramora